Le Repas gaulois
Retour sur une belle tranche de campagne
20 h 31 – Attablés avec nos propres couverts (Là-bas, c’est la règle : tout le monde vient équipé de son assiette et de ses ustensiles) au milieu de près de 260 Lotois, nous grignotons quelques gâteaux apéritifs afin de se chauffer l’estomac. Nous avons été prévenus, ce ne sera pas un sprint mais une course de fond ! Deux ou trois yaourts Pastis nous aident à nous mettre en condition.
Peu après est servi le premier mets : la célèbre soupe de campagne. Si tu viens de par chez nous, tu sais très bien ce que c’est. Si tu es un citadin, essaie d’imaginer une soupe avec des légumes, de la viande et du pain qui flotte à la surface. Beaucoup de pain. Elle est savoureuse, et à peine avons-nous terminé notre gamelle qu’une seconde ration nous est servie. Lorsque la deuxième portion de potage est presque terminée, chabrot ! Cela consiste à ajouter dans l’assiette du vin rouge pour diluer le bouillon puis à porter le plat à la bouche avant de l’avaler à grandes goulées. À Crégols, il faut s’accrocher pour cette étape, car c’est l’équivalent d’un plein verre de rouge qui se retrouve dans ton écuelle !
21 h 03 – Le second mets ne tarde pas à arriver : melon au Porto. Pas juste une tranche ou deux, non… Demi-melon plein de Porto pour tout le monde ! Nous ne le savons pas encore mais ce sera le seul fruit que nous aurons l’occasion de voir de toute la soirée.
21 h 36 – On passe à la suite avec le pâté de sanglier, descendu avec du bon pain local. Comme pour la soupe, certains d’entre nous reçoivent une deuxième portion non réclamée. Visiblement, il va falloir s’habituer à cette recharge automatique…
21 h 59 – C’est l’heure de commencer les choses sérieuses : le civet de sanglier (accompagné de ses légumes tout de même) est versé dans nos gamelles. Le goût révèle tout ce que le parfum promettait. Lorsqu’on arrive au bout de cette succulente assiette, la sempiternelle deuxième ration vient nous porter deux coups : un premier à l’estomac puis un autre au moral. À ce rythme, on va caler sévèrement bien avant le dessert…
Heureusement, c’est l’heure de l’Igue de Crégols ! Il s’agit d’une sorte de trou normand version lotoise, nommé d’après un gouffre de calcaire de 80 mètres de diamètre et de 40 mètres de profondeur, situé à environ 2 km du village.
Même si la glace à l’eau de vie de poire fait du bien à la paroi du ventre qui commence à se tendre, on s’interroge sur la nécessité de nous en avoir servi trois par tête… Peut-être est-ce une sorte de bizutage.
Toujours est-il que nous sommes prêts pour la suite. Amenez les rôtis de sanglier milladiou, on a hâte d’en découdre !!! Bon, clairement, cette étape est glorieuse… Nous avons le plaisir coupable de recouvrir nos bouts de viandes d’une merveilleuse sauce à base de tomates, oignons, moutarde… Nos babines sont à présent luisantes de sanglier. On remerciera Christiane pour systématiquement avoir rechargé nos assiettes dès qu’elles arboraient davantage d’os que de viande.
22 h 45 – À la suite de ce massacre, pour que la conscience s’allège un peu, nous engouffrons des feuilles de salades qui nous permettent de ne pas se sentir complètement comme des animaux.
Mais ce vert entracte est de courte durée : les gigots de sanglier sont servis avant que nous ayons totalement eu l’occasion de reprendre notre souffle. La sauce du diable étant encore sur la table, nous avons l’impression qu’une bascule s’opère dans ce repas. En effet, si nous avions le sentiment de bien nous tenir jusqu’alors, et ce malgré l’abondance des riches mets servis, c’est avec les gigots que nous avons plongé dans l’obscène. Morceaux de sangliers dans la barbe, tâches de vin sur les t-shirts malgré le port de bavoirs, yeux injectés de sang et doigts gras… la rampe de la bienséance a définitivement été lâchée.
Nous sommes donc plus qu’à point pour recevoir le fromage qui, à n’en pas douter, va sûrement arriver en double ration comme le reste. Mais là, surprise ! Il faut en réalité choisir entre le Cantal et le Chèvre ! Bon, au vu des quantités astronomiques, nous aurons finalement un bout de chaque quand même…
23 h 33 – Lorsque la glace arrive enfin, nous avons du mal à savoir ce qu’il se passe autour de nous, des couches de gras et de rouge mêlées à un sentiment de honte satisfaction brouillant notre vision. Malgré tout, nous parvenons à apercevoir un brave monsieur tentant de nous vendre des calendriers pour la sauvegarde d’une espèce rare de galinette. On a juste le temps de bredouiller un honnête refus que des anciens se mettent à déambuler entre les rangs de tous les bougres repus afin de faire goûter leurs eaux de vie respectives. Comme il est très malpoli de refuser ce type d’offrandes, nous acceptons les diverses variantes de prune ou de poire. Sans surprise, ça chauffe !
Peu de temps après, le gros de l’assemblée quitte les lieux entre de chaudes embrassades et de derniers éclats de rire. Pour notre part, on attend quelques dizaines de minutes que toute cette nourriture fasse son chemin, privilégiant la position allongée sur les bancs en bois de la Maison de la chasse.
Mais à la fois un très bon moment vécu en compagnie de joyeux lurons. Les ventres n’ont pas éclaté et les cœurs se sont gonflés d’allégresse. Merci aux copains du Lot pour l’invitation, il y a de fortes chances de revoir nos faces bouffies l’année prochaine !
Le Rédac’ chef